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Guinée/Émouvant message d’Aliou Bah au président du tribunal :« Monsieur le Président, libérez-moi, je suis innocent»

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Aliou Bah, leader du parti Model, a été placé sous mandat de dépôt. A rappeler qu'Aliou Bah est poursuivi pour offense au chef de l’État, diffamation et menaces.

Lors de son procès, après les plaidoiries de ses avocats, Aliou Bah, président du Mouvement Démocratique Libéral (MoDeL), a déclaré ce message émouvant à Ousmane Sylla, président du Tribunal de première instance de Kaloum :

« C’est la première fois que j’ai été amené à un escadron de gendarmerie ou un commissariat de police. J’ai toujours été un citoyen exemplaire. Je le tiens d’abord de ma famille qui est présente ici, de mon milieu social, de valeurs incarnées en éducation française. Je suis un homme politique. La politique n’est pas un métier, c’est une vocation. Professionnellement, je suis un consultant analyste financier, enseignant chargé de cours dans nos universités.

Comme beaucoup de Guinéens, j’ai toujours eu l’opportunité d’aller m’installer partout où je voulais aller dans le monde. J’ai beaucoup voyagé. Mais j’ai toujours eu ce sentiment qu’en m’éloignant de mon pays, je serai en train de trahir ce que l’école m’a donné. Ma famille m’a tout donné.

Chaque jour, la question que je me pose, c’est de savoir ce que je peux faire pour rendre à la Guinée le peu qu’il soit. Ainsi, au regard de ma connaissance de l’histoire politique de notre pays et des difficultés que chacun de nous peut constater quotidiennement. L’extrême pauvreté, le désespoir, la misère caractérisent les mauvaises sociétés que nous sommes. Ça me désole que nous soyons parmi les pays les plus pauvres du monde. Ça me désole quand je voyage, je constate que nous sommes l’un des plus grands pays, pourvoyeurs de demandeurs d’asile dans le monde. Dieu merci, nous n’avons jamais été un pays en guerre. Mais aujourd’hui, à mon entendement, la Guinée est plus misérable que certains pays en guerre.

J’ai toujours nourri cet espoir que ce sont des humains qui ont été à la base de ces faits. Il appartient aux humains de les corriger. Alors pour ma part, ce sont toutes ces motivations qui m’ont amené à m’engager dans la politique. Parce que je définis la politique comme étant l’art de servir la société. Contrairement aux croyances dans notre pays, je les comprends, qui consistent à croire que la politique, c’est l’art de mentir à volonté.

Parce que je considère que ceux qui l’ont pratiquée et qui nous ont conduits dans cette situation ont été des menteurs. Alors dans mon discours et dans ma mission, j’ai toujours dit que l’espoir est permis, je ne nourris pas un espoir théorique, je nourris un espoir pratique qui consiste à faire agir l’Etat. Ceci étant, je sais qu’il y a des obstacles.

Je suis préparé à toutes les éventualités. Cela ne fait pas de moi un homme téméraire. J’aime la vie, j’aime la liberté, parce que j’ai été créé dans un environnement social de liberté. J’ai fondé une famille, ce n’est pas pour les abandonner. J’ai des enfants, deux filles et un garçon. Ma première fille a 14 ans. Elle a compris. Les autres enfants, mon épouse a été obligé de les amener ailleurs.

J’ai deux mamans. La première a près de 90 ans. Ma mère a près 75 ans, mon père est décédé. Mes frères et sœurs sont là pour moi. Il y a certaines choses que j’ai voulu garder pour moi, c’est parce que je ne suis pas un porteur de haine. Le pays en a trop vécu.

Si je ne peux pas apporter de la valeur ajoutée, je ne veux pas encore que les Guinéens soient lésés. Aujourd’hui, c’est évident, on veut me faire taire, il y a des gens qui ne sont pas contents de ce que je fais (…). Les privilèges doivent être évités. Dieu merci, je ne suis demandeur de rien. Par mon travail, j’arrive à me suffire. Je suis fier de ma vie quotidienne. Je ne dois rien à personne en dehors de ceux qui m’ont soutenu et qui ont contribué à construire la carrière que je suis en train de mener.

Si je suis devant vous aujourd’hui, Monsieur le Président, c’est parce que, en tant que citoyen, je n’ai pas voulu me dérober. J’avais l’opportunité de rester à Paris quand les menaces se sont précisées.

D’ailleurs, on a le courage, beaucoup de personnes, peuvent même estimer que si, à l’issue du verdict, il se trouve que je suis condamné, comme la prophétie naturelle de notre société, certains peuvent estimer que c’est ma faute (…).

C’est un procès de l’histoire et de la liberté. Je sais des choses que je peux vous dévoiler. Quelle que soit son issue, tous ces humains qui ont perdu confiance en la justice, qui n’ont plus foi en leur pays, toutes ces ressources que nous perdons chaque jour, qui s’exportent dans la sous-région, dans le monde, si nous ne faisons pas en sorte que la justice, puisse fonctionner normalement, nous perdrons la Guinée. Ce pays a frôlé régulièrement le risque de basculer par le fait de l’injustice.

Et je pense que le CNRD, aux premières heures de la transition, qu’il ait été sincère ou pas, a été bien inspiré pour prononcer cette phrase : ‘La justice sera la boussole qui va nous guider ». Nous aurions aimé que ce ne soit pas simplement une phrase, nous aurions aimé que ce soit une réalité.

Monsieur le Président, vous avez l’opportunité de traduire cela, même si ce sera exceptionnel, mais que ce jour, que ce procès puisse entrer dans les annales de l’histoire, pas dans le mauvais sens, mais dans le bon sens. Je sais combien de fois ce procès sera aussi un signe d’espoir ou de désespoir.

Je souhaite que ce soit l’espoir d’une Guinée nouvelle qui va se bâtir, et que tous les Guinéens puissent se mettre ensemble afin qu’on lutte contre le mal et qu’on avance pour l’intérêt de notre pays. Monsieur le Président, libérez-moi, je suis innocent ».


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